22 janvier : entrée en vigueur du traité d’interdiction des armes nucléaires

D’illégitimes, les armes nucléaires deviennent illégales

L’entrée en vigueur du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) le 22 janvier marque une étape fondamentale dans cette marche vers un monde sans armes nucléaires. D’illégitimes, les armes nucléaires sont désormais illégales au niveau du droit international. Les 9 États possesseurs de la bombe et les 32 États affiliés deviennent des « délinquants » face aux 156 États qui excluent les armes nucléaires de leur politique de sécurité (1).

Illégitimes, les armes nucléaires le sont depuis le début dans leur conception même. En effet, le droit international humanitaire – ou le droit de la guerre – doit respecter deux principes : d’une part, celui de la distinction entre civils à protéger et combattants ; et, d’autre part, celui d’une riposte proportionnée à l’attaque subie. Avec les armes nucléaires ces deux principes sont complètement balayés.

D’ailleurs, lorsqu’elle a été interpellée en 1995, la Cour internationale de Justice a indiqué que, « eu égard aux caractéristiques uniques des armes nucléaires, l’utilisation de ces armes n’apparaît guère conciliable avec le respect des exi-gences du droit applicable dans les conflits armés ». Mais, en même temps, elle a été amenée à constater que « au vu de l’état actuel du droit international, ainsi que des éléments de fait dont elle dispose, [elle] ne peut cependant conclure de façon définitive que la menace ou l’emploi d’armes nucléaires serait licite ou illicite (2) ». Si la question est à nouveau posée à la Cour internationale de Justice, elle disposera cette fois d’un nouvel élément de poids pour se prononcer : le Traité d’interdiction des armes nucléaires !

En effet, comme nous l’avons souligné à maintes reprises dans Abolition depuis son adoption le 7 juillet 2017, le TIAN est le premier accord international juridiquement contraignant, établissant un ensemble complet d’interdiction de ces armes : possession, fabrication, commerce, financement, usage, menace d’utilisation. Le traité comporte également des obligations positives (obligation de transparence, contrôle par les pairs, assistance aux victimes, remise en état de l’environnement, coopération entre les États parties, etc.).

Il vient combler le vide juridique inscrit au cœur même du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP). Car le TNP, présenté toujours « comme une des pièces maîtresses de l’architecture de la sécurité internationale », ou encore « la clef de voûte du désarmement nucléaire (3) » est justement l’instrument sur lequel s’appuient les puissances nucléaires pour justifier le maintien de leur arsenal atomique, sous le prétexte que d’une part le TNP leur octroie un « droit », très provisoire, d’avoir ces armes et, d’autre part que des échanges sur le désarmement ont bel et bien lieu, mais que le contexte sécuritaire, d’après eux, ne leur permet pas de négocier un plan de désarmement, comme le demande l’article VI…

Le TIAN vient inverser cette situation en établissant l’interdiction des armes nucléaires comme la nouvelle norme juridique. Ce traité n’est pas uniquement une victoire symbolique comme le laisse entendre les opposants. Il aura des conséquences sur la réalité de la course aux armements nucléaires.

Un traité international ne contraint juridiquement que ceux qui le ratifient. Mais comme il était prévisible que les États nucléaires feraient tout pour ne pas adhérer, le TIAN contient des mesures qui vont peser y compris sur les puissances nucléaires, de manière à créer une pression en faveur de l’élimination de ces armes de destruction massive. C’est le cas notamment au niveau du financement comme nous l’avons souligné dans le précédent numéro d’Abolition (4).

Prochaines étapes

Comme le prévoit l’article 8 du Traité, une première réunion des États parties doit se dérouler « dans un délai d’un an après l’entrée en vigueur ». L’Autriche s’est déjà portée candidate pour l’organiser. Son objet est d’« examiner toute question concernant l’application ou la mise en œuvre du présent Traité, […] et de nouvelles mesures de désarme- ment nucléaire ». Une réunion importante.

Le traité prévoit explicitement que les États non-parties au traité, les organisations internationales comme la Croix- Rouge et les ONG seront invitées à participer à ces réunions de suivi de la mise en œuvre du traité. Abolition des armes nucléaires – Maison de Vigilance sera présent, comme lors des conférences d’examen du TNP.

L’action principale reste bien sûr, d’une part, la poursuite du travail auprès des signataires pour qu’ils terminent leur procédure de ratification du traité, et, d’autre part, amener d’autres États à rejoindre cette dynamique pour isoler progressivement les puissances nucléaires, leurs alliés sous « parapluie nucléaire » et aboutir ainsi à son universalisation. Une activité que notre association va mener avec encore plus de force à travers l’augmentation du nombre de vigies et l’implication dans la campagne collective de ICAN.

Patrice Bouveret

(1) Selon les données de la 3e édition du Nuclear Ban Monitor 2020, publié le 12 janvier 2021. Disponible : https://banmonitor.org/

(2) Cf. https://www.icj-cij.org/fr/affaire/95

(3) Conseil de sécurité de l’ONU, séance du 2 avril 2019,
cf. https://www.un.org/press/fr/2019/cs13761.doc.htm

(4) Disponible en téléchargement : http://abolitiondesarmesnucleaires.org/2020/11/30/lettre-dinformation-abolition-n282-de-novembre-2021/