A propos des annonces économiques de Macron

« La réforme des retraites est très impopulaire et pourrait déclencher un mouvement social peu avant l’élection », par Philippe Légé
15/07/2021

Entre incohérences doctrinales, mensonges au sujet d’un prétendu plein emploi à venir, et retour à l’agenda de réformes très dures, le discours de Macron de ce lundi 12 juillet comportait de nombreuses annonces économiques étranges, un peu passées à la trappe au regard du choc des annonces sanitaires. L’économiste Philippe Légé les analyse aujourd’hui sur le site de QG

L’allocution d’Emmanuel Macron, lundi 12 juillet, a suscité énormément de réactions sur le volet sanitaire, reléguant un peu dans l’ombre les annonces économiques. Le locataire de l’Élysée a néanmoins affirmé que la réforme de l’assurance-chômage s’appliquerait dès le 1er octobre 2021, annonçant également que la très impopulaire réforme des retraites reviendrait à l’agenda, en fonction de l’évolution de la crise sanitaire toutefois. Interrogé par QG, l’économiste Philippe Légé, membre des Économistes Atterrés, pointe les contradictions du discours de Macron. Une chose est sûre: la politique de classe menée par le pouvoir actuel ne variera pas d’un iota jusqu’à la présidentielle, renforçant sans fin le capital par rapport au travail. Interview par Jonathan Baudoin

Philippe Légé, économiste, maître de conférences à l’Université de Picardie et au CRIISEA et membre du collectif les Économistes Atterrés

QG : Quelle analyse d’ensemble tirez-vous du volet économique de l’allocution d’Emmanuel Macron ?

Philippe Légé : Le volet économique de l’allocution est contradictoire. D’un côté, Emmanuel Macron affirme que notre modèle social est « un joyau qu’il nous faut préserver ». C’est un changement par rapport à l’époque où il critiquait un modèle social « épuisé » et plaidait en faveur d’un basculement « radical ». Emmanuel Macron ne peut plus dire cela car la crise du Covid est passée par là. Chacun a pu prendre conscience du fait que notre modèle social était plus protecteur que celui de nombreux pays. Par exemple, le système d’assurance-chômage a joué pleinement son rôle de stabilisateur automatique durant la crise sanitaire. Mais d’un autre côté, Emmanuel Macron conserve un discours néolibéral. Quand il évoque « les pénuries de main d’œuvre » pour justifier la nécessité de « responsabiliser chacun », il fait comme si les travailleurs privés d’emploi étaient des fainéants, comme si l’indemnisation du chômage empêchait la reprise du travail. Il a aussi laissé entendre, comme Nicolas Sarkozy il y a une quinzaine d’années, que certains chômeurs percevaient davantage que ceux qui travaillent, ce qui est faux. Rappelons d’ailleurs que 37,6 % des chômeurs sont considérés comme pauvres, contre 8,2 % des personnes en situation d’emploi.

QG : Le président a vanté la relance de l’économie française en indiquant la perspective d’un taux de croissance de 6% du PIB en 2021. Compte tenu du fait que la récession était de 8% l’an dernier, peut-on réellement parler de relance ?

La Banque de France a relevé sa prévision à 5,75 % pour 2021 et l’INSEE à 6 %. Cela signifie que le taux de croissance est élevé, mais pas assez pour rattraper la perte de production. L’INSEE évalue cette perte à environ 1,5 point de PIB à fin 2022. On demeure donc sous la tendance de croissance, qui était déjà faible. Or, Emmanuel Macron a prétendu lundi soir que sa priorité était d’inscrire le pays « dans une trajectoire de plein emploi ». Les créations d’emploi vont certes accélérer mais l’INSEE prévoit qu’avec le retour sur le marché du travail des personnes qui s’en étaient écartées avec la crise, le taux de chômage restera stable à 8,2% fin 2021. On sera bien loin du plein emploi. Emmanuel Macron vante l’accord européen de juillet 2020 en faveur d’un fonds de relance. Celui-ci est effectivement historique et la Commission a récemment commencé à emprunter sur les marchés au nom des États, mais les modalités de ce plan ne sont pas encore parfaitement définies. Le point crucial sera de savoir si la relance de certains investissements s’accompagnera d’un plan d’austérité pour le reste des dépenses publiques, ce qui serait catastrophique.

QG : Dans son allocution, Macron a évoqué « la nécessité de retrouver le chemin d’une indépendance française et européenne ». Peut-on vraiment le prendre au sérieux, au regard de la politique menée depuis 2017 et auparavant, en matière de souveraineté économique ?

La crise du Covid a mis en évidence la désindustrialisation et la dépendance d’une économie française, qui ne produit même plus de masques ou de paracétamol. Le déficit commercial de la France, qui était déjà important, s’est considérablement creusé en 2020. Les objectifs énoncés lundi par Emmanuel Macron sont donc louables, mais purement hypothétiques. Il fait miroiter le projet de « redevenir une grande nation de recherche, d’innovation, d’agriculture et d’industrie ». Qui refuserait de « réindustrialiser, réconcilier la croissance et l’écologie » ? La question est toutefois de savoir comment. Or je n’ai entendu aucune remise en cause des règles commerciales actuelles ou de la libre circulation des capitaux.

QG : Durant cette allocution, Macron a annoncé l’application de la réforme de l’assurance-chômage dès le 1er octobre, sachant qu’elle était prévue initialement le 1er juillet, et qu’elle fut retoquée par le Conseil d’État en raison du contexte économique incertain. Qu’en pensez-vous ?

Une partie des dispositions de cette réforme adoptée en 2019 avaient été mises en place en novembre 2019, puis suspendues par un décret de juillet 2020. Le projet a été censuré par le Conseil d’Etat en novembre 2020. Le gouvernement a revu sa copie, mais en juin 2021 le Conseil d’Etat a une fois de plus jugé que le nouveau mode de calcul des indemnités était inapplicable dans la conjoncture actuelle. Celle-ci est en effet trop incertaine pour mettre en œuvre un projet d’une telle violence. De plus, le Conseil d’Etat doit encore se prononcer sur le fond. L’annonce d’une mise en œuvre au 1er octobre est donc très surprenante. Comment contourner la décision du Conseil d’État ? Et pourquoi un tel entêtement ? Macron considère que les règles de l’assurance-chômage enferment les demandeurs d’emploi dans la précarité et qu’elles sont donc contre-productives. Mais le nouveau mode de calcul des indemnités sera très défavorable pour beaucoup de travailleurs. Les plus touchés seront les plus précaires, ceux qui ont enchaîné des périodes d’emploi et de chômage, les personnes qui sont tombées malades, les femmes qui ont eu un enfant. Près de 400.000 nouveaux inscrits subiront une baisse d’environ 40 % de leur revenu de référence, et donc une baisse de leur indemnisation.

L’UE publie en janvier 2021 un Livre Vert sur le vieillissement de la population qui remet explicitement en cause le système des retraites (Source : site officiel de l’UE)
QG : À travers la réforme de l’assurance-chômage, et la réforme des retraites, dont la remise au goût du jour a également été annoncée, sans parler de la poursuite des baisses d’impôts sur les sociétés, peut-on dire que Macron continue à mener à bride abattue une politique de soumission des salariés au capital?

On perçoit en effet le projet utopique d’une société dans laquelle la politique du capital serait totalement libre de se déployer. Il existe heureusement des aléas, et des contre-pouvoirs sociaux et démocratiques. La réforme structurelle des retraites est d’ailleurs enterrée. Une réforme paramétrique est théoriquement possible mais quel en serait le but ? Le système des retraites était en équilibre en 2019. Son déficit devrait rester inférieur à 0,2 % du PIB jusqu’en 2030. Il n’y a donc aucune nécessité financière à réformer. L’enjeu est ailleurs: envoyer un signal à Bruxelles et aux propriétaires de capitaux. Le report de l’âge est toutefois très impopulaire et déclencherait un mouvement social peu avant l’élection. C’est pourquoi Emmanuel Macron a pris soin de préciser que la réforme n’aura lieu que si « l’épidémie est sous contrôle et la reprise bien assurée ». Il s’est laissé une porte de sortie.

Propos recueillis par Jonathan Baudoin

Philippe Légé est économiste, maître de conférences à l’Université de Picardie et au CRIISEA, membre du collectif les Économistes Atterrés

Cet entretien est paru initialement sur le média en ligne Quartier Général