Covid 19 : l’enjeu des vaccins

Note d’information sur les vaccins

La  vaccination de masse  démarre  en Europe  (Grande-Bretagne, Suisse, bientôt Allemagne et France) et aux Etats-Unis. D’autres pays  doivent  suivre  courant Janvier. Les premiers  vaccins en cause sont le  vaccin à ARN messager de  Pfizer/BioNtech,  celui  de Moderna (même procédé) et  celui d’Astra-Zeneca (vaccin à adénovirus). Dans le cadre de ce démarrage des campagnes de vaccination en population générale il convient également de signaler les vaccinations  de masse  en Russie  et en Chine, et le vaccin chinois Sinopharm  administré à  Dubaï et qui doit arriver ce mois-ci au Maroc.

Le cadre de « validation » scientifique de ces campagnes, notamment celles qui débutent en Europe et aux Etats-Unis est particulier. Il l’est en raison bien entendu de l’urgence liée à la pandémie elle-même, mais également en raison des enjeux de marché considérables qui sont liés à la mise en œuvre de ces vaccins.

Actuellement deux  études scientifiques sont accessibles qui rendent compte d’essais de phases  3 : pour le vaccin Pfizer et pour le vaccin Astra Zeneca. Mais il s’agit de phases 3 « intérim ». En phase 3 d’expérimentation d’un vaccin, des milliers de volontaires sont testés pour comparer les groupes vaccinés aux groupes non vaccinés. Ces tests finalisent la détermination de l’efficacité et la sûreté des vaccins, ainsi que les effets secondaires les plus communs. Les deux labos ont procédé à des essais sur des cohortes de plusieurs milliers de patient.es (50 000 environ), mais sur une période beaucoup plus courte (en gros 6 mois) que celle qui prévaut habituellement (au moins un an). Leurs résultats ont été publiés et contrôlés et ont donc passé de ce point de vue l’épreuve d’une révision scientifique sérieuse et indépendante. Il s’agit pour Pfizer d’une étude publiée par le New England Journal of Medicine et pour Astra  Zeneca d’une étude publiée par The Lancet. Pour Pfizer on dispose également du dossier complet déposé par le labo devant l’agence américaine du médicament (FDA) disponible en open source.

Par ailleurs le groupe américain Moderna qui utilise le même procédé que Pfizer (vaccin à ARN messager), vient d’obtenir de la FDA (agence américaine du médicament) un avis favorable en urgence après consultation d’un comité d’experts scientifiques.

Le dossier présenté par Pfizer, qui fournit le vaccin à ARN avec lequel la vaccination a débuté en Grande Bretagne, montre une efficacité en termes d’immunité des vacciné.es de l’ordre de 90 %. Sans indication très précise encore, et pour cause, sur la résistance dans le temps de cette immunité. Par ailleurs il semble confirmer également à ce stade une efficacité du même ordre dans la suppression de la contagiosité des vacciné.es. Autrement dit  ça marche en première analyse à la fois en prévention individuelle et apparemment en  prévention de  la transmission. Disons que c’est raisonnablement sûr dans l’immédiat, et le  pari  de  l’injecter aux  personnes âgées, hors allergies déclarées, est  un  pari raisonnable. Cependant, comme on va le voir, de nombreux problèmes et de nombreuses questions demeurent quant à la mise en œuvre à une échelle de masse dans des délais aussi courts de ce vaccin.

Concernant le vaccin proposé par Astra Zeneca l’étude évoque des “évènements contraires” présentés comme non reliés au vaccin. Par ailleurs, DEPUIS   cette  étude,  s’est produit  dans  la phase 3 l’incident  « effet dose »  signalant    une  meilleure  efficacité  à  demi  dose   qu’à  haute dose… Les 70 % d’efficacité du vaccin avancés par le labo seraient en effet la moyenne de deux données : le taux d’efficacité pour l’injection d’une demi-dose du vaccin et pour l’injection de la dose entière, conçue normalement pour  garantir une protection optimale. En effet, avec une demi-dose, l’efficacité constatée serait de 90 %, contre seulement 62 % de protection après l’injection de la seconde moitié, un mois après… Le  tout  ayant été découvert  par suite  d’une  erreur de dosage  à la  fabrication, ce qui  est pour  le  moins  inquiétant.

Cet évènement concernant le vaccin développé par Astra Zeneca montre à quel point la question de la durée de l’expérimentation de phase 3 et du recul sur les essais publiés est déterminante.

Le cadre institutionnel et légal dans lequel s’inscrit la mise en œuvre, commencée ou très prochaine, de ces vaccins pose également question. Il découle à la fois des conditions d’urgence liées au risque sanitaire et économique et social que représente la pandémie, mais il interroge aussi les stratégies financières et commerciales des labos et leur interaction avec les états concernés.

Pour Pfizer, aux Etats-Unis, il s’agit d’une  emergency use authorization accordée sur la base de “l’intérim phase 3”. L’autorisation plus définitive, avec phase 3 plus complète n’est pas prevue avant avril prochain…

Pour  l’Europe,  en ce qui concerne le vaccin Pfizer on se situe a priori actuellement dans le cadre d’une autorisation accordée par l’EAM par reconnaissance mutuelle pour laquelle le  Royaume-Uni  (Brexit en Janvier ou retardé ?) pourrait être l’état de référence. Mais ce sera plus probablement la Hollande car il existe un contrat entre Pfizer et l’Université d’Utrecht. On ne sait pas encore ce qu’il en sera pour le vaccin Moderna qui comme on l’a vu utilise le même procédé que Pfizer et qui vient d’obtenir une autorisation de la FDA aux Etats-Unis.

La  France pourrait éventuellement passer par une troisième procédure, dite décentralisée, où ce sont les autorités nationales compétentes (en France l’ANSM) qui délivrent les AMM. Ce choix interroge.

Quoiqu’il en soit, dans tous les cas de figure les autorisations accordées en urgence dérogent au cadre normal présidant à la délivrance d’une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM). Evidemment, comme pour les enjeux liés au contrôle des essais de phase 3, l’urgence de la situation liée à la pandémie explique ce cadre dérogatoire, mais on ne peut être aveugle dans ce contexte à la compétition que se livrent au plan mondial les industriels du médicament. Si l’urgence peut justifier un certain nombre de paris, elle ne justifie pas l’absence de transparence qui préside aux choix qui sont faits actuellement. Choix qui percutent la démocratie et l’expertise sanitaires. Cela s’illustre par exemple avec l’absence de transparence sur les conditions financières négociées en secret entre les laboratoires et la commission européenne, et qui restent inaccessibles aux députés européens.

L’absence de transparence en la matière représente en elle-même un risque dans un contexte où la défiance de la population est considérable à l’égard de la vaccination, notamment en France et y compris pour partie au moins pour des raisons qui tiennent à une défiance légitime vis-à-vis de l’état et des autorités sanitaires, et également tout aussi légitimement vis-à-vis des logiques marchandes et d’appropriation privée qui gouvernent à la fois les états et les grands groupes pharmaceutiques.

Ces questions sont d’autant plus importantes qu’il demeure des incertitudes sur l’efficacité à long terme des réponses vaccinales mises en œuvre dans ce contexte et encore trop peu de recul sur les risques qu’elles peuvent induire.

Comme on l’a vu, au  stade  actuel, on n’a  évidemment  aucune  certitude sur  la  durée de l’immunisation mesurée tant au niveau cellulaire que par les anticorps. De même pour la durée de l’effet suppresseur de la  contamination même s’il semble bien  présent  pour  Pfizer,  Moderna, et Astra  Zeneca, (quoique  le  président  de Moderna demeure lui-même prudent  à  ce sujet… ). Par ailleurs on ne  sait pas – ou pas encore – s’il n’y a aucun risque d’induction  d’anticorps  facilitants  chez les sujets  déjà  immunisés  (ayant fait un  Covid). Enfin, évidemment, pour les  effets  secondaires  éventuels, dont  l’auto-immunité à moyen ou long terme, c’est trop tôt pour avoir des réponses. Enfin, en ce qui concerne le vaccin Pfizer un nombre élevé de réactions désagréables sont signalés dans les premières 24 heures qui suivent la vaccination.

Tout cela rend absolument nécessaire l’accompagnement de la campagne de vaccination par un registre de suivi des vacciné.es.

Plus largement les conditions techniques et logistiques de mise en œuvre des vaccins utilisant l’ARN imposent des précautions plus lourdes et donc un accompagnement logistique très sérieux. Dans le cas du vaccin Pfizer les contraintes de conservation sont même exceptionnellement lourdes.

Les vaccins  classiques ne  nécessitent pas d’autre précaution de conservation que le respect d’une chaîne classique du froid par réfrigération simple.  Les vaccins ARN, eux, nécessitent au minimum une conservation à -20°. C’est le cas pour le vaccin de Moderna.  Le vaccin Pfizer nécessitant même  une  conservation /transport à -80°. Ce qui complique considérablement sa mise en œuvre dans des conditions respectueuses des contraintes spécifiques de conservation qu’il impose. Le savoir-faire et les équipements impliqués sont relativement routiniers pour les industriels et les hôpitaux et cliniques, mais  évidemment cela suppose des équipements plus coûteux et plus rares, souvent y compris l’équipement d’une pièce elle-même climatisée. Cela même si le  vaccin  résiste  quelques jours à -20° (avec un risque au-delà de 48 ou 72 heures). Bref, cela rend difficilement imaginable à ce stade la perspective, avec ce vaccin, d’une vaccination respectant ces critères en médecine de ville.

Le choix de débuter dans ce contexte par les patient.es des EHPAD et plus largement les patient.es à gros risques et les personnes âgées n’est pas aberrant. Mais les conditions de vérification du passé médical des sujets vaccinés par rapport aux risques d’allergie et le suivi médical après vaccination doivent être particulièrement rigoureux en lien avec la possibilité d’éviter un risque ou de répondre immédiatement à une réaction anormale.

On le voit tout cela soulève beaucoup de questions sanitaires sur la mise en œuvre de ces campagnes vaccinales contre le SARS-Cov2. En plus du cadre de décision démocratique et du contrôle expert liés à la décision de les mettre en œuvre, la mise en place des moyens logistiques et de suivi propre à garantir la sécurisation et l’efficacité du processus doivent être interrogées et vérifiées. L’échec de la stratégie « tester, tracer, isoler » en France, même après que les tests ont été enfin disponibles, illustre à quel point la disponibilité d’un produit (test ou vaccin) ne suffit pas à garantir à elle seule le succès d’une stratégie sanitaire. Tout cela doit nous conduire à formuler un certain nombre d’exigences immédiates. Non seulement, cela va de soi,  la gratuité, mais la fourniture de toutes  les données de phase 3 pour tous les vaccins utilisés, des sérotests de suivi sur une partie de la population vaccinée pour assurer le suivi du taux d’anticorps, et la validation  de  la  chaine du froid, depuis la production du vaccin jusqu’à la vaccination des sujets.

Plus largement d’ailleurs, compte tenu des enjeux logistiques et de suivi des sujets vaccinés qui ont été soulignés, la vaccination contre le SARS-Cov2 en l’état actuel des données et dans le contexte d’une pandémie mondiale, impose a priori pour la réaliser la mobilisation de moyens exceptionnels, par exemple sous la forme de centres de vaccination publics, éventuellement associés à d’autres circuit de vaccination.

Les membres du groupe de réflexion sur la crise sanitaire, regroupant chercheuses.eurs, praticien.nes et militant.es d’Ensemble et d’Ensemble Insoumis