Hommage à Georges Berthomé (1920-1945)

Il y a 80 ans, disparaissait près de Buchenwald, lors des « marches de la mort », le résistant internationaliste rezéen Georges BERTHOME. Sa dépouille ne fut jamais retrouvée. Officiellement Georges BERTHOME a été déclaré décédé à la date du 21 avril 1945.

Georges BERTHOME est né le 30 juin 1920 à La Roche/Yon (85), second d’une famille de cinq enfants. Son père, Georges BERTHOME, était cheminot, et sa mère, Léonie MERCIER, était au foyer. Au recrutement de son père à la Gare de Nantes-Orléans, la famille s’installe à Rezé, 61 rue Victor-Hugo.

En 1936, après avoir obtenu le brevet élémentaire, Georges BERTHOME entre en apprentissage à la SNCAO, l’usine d’aviation de Château-Bougon. Dans la foulée du Front Populaire, il adhère à la CGT puis aux Jeunesses Socialistes. Avec le même sérieux et la même énergie que pour ses apprentissages, il assume très vite des responsabilités tant au niveau syndical que politique. Elu secrétaire de la section de Rezé des Jeunesses socialistes, il contribue à dynamiser ce petit mouvement de jeunesse au point de parvenir à doubler ses effectifs en moins d’un an et de devoir structurer la centaine d’adhérent·es dans deux sections dstinctes, Rezé et Trentemoult. Il y entraine aussi sa sœur ainée, Jeanine, et son frère cadet Henri.

L’enthousiasme des premiers mois du gouvernement du Front Populaire passé, la situation politique et sociale ne cesse de se tendre. Dans les entreprises, le patronat est bien décidé à récupérer au plus vite ce qu’il a été contraint de céder aux grévistes de juin 1936 et, au niveau international, le fascisme est partout à l’offensive. Ces durant ces années de l’avant-guerre que le jeune Georges Berthomé forge son engagement révolutionnaire.

En soutien à la République espagnole – et en opposition avec la politique de Staline – il engage les Jeunesses socialistes dans le Secours international, où il côtoie quelques sympathisants trotskistes.

A 17 ans, il est élu secrétaire départemental adjoint des Jeunesses socialistes de Loire-Inférieure, puis quelques mois plus tard, alors que les débats font rage dans les Jeunesses socialistes tant sur le bilan du gouvernement de Front populaire que sur son refus de venir en aide à la République espagnole, secrétaire départemental. Il n’occupe ce poste que quelques semaines avant de quitter les Jeunesses socialistes peu après le congrès de Royan de la SFIO (Juin 1938) qui voit l’exclusion de la gauche du parti conduite par Marceau Pivert.

Cette même année, 1938, Georges BERTHOME est gravement blessé par la police à cheval lors d’une manifestation qui conduit les grévistes de la SNCAO (usine de Château-Bougon) à un meeting au Champ de Mars à Nantes, Peu après, il est licencié et se retrouve sans emploi. Il se fait embaucher comme manœuvre terrassier dans l’entreprise du bâtiment Dodin, travail difficile s’il en est qui ne l’empêche pas de suivre assidument les cours du soir qui lui permettront d’être reçu à l’examen d’entrée aux Services de Mines en qualité d’agent technique.

Fin 1938, début 1939, à Rezé, Georges BERTHOME organise un petit groupe des Jeunesses socialistes ouvrières et paysannes qui maintiendra une activité clandestine au début de la guerre, avant que le PSOP de Marceau Pivert et les Jeunesses qui y sont liées, divisés entre pacifistes et révolutionnaires, n’implosent et disparaissent.

Sur le cheminement qui conduisit Georges BERTHOME et son frère Henri à militer clandestinement avec Robert CRUAU et le petit groupe trotskyste de Nantes, nous ne savons que peu de chose. Mais dès 1941, les deux fils de cheminots que sont Georges et Henri, font régulièrement des allers-retours à Paris pour ramener le journal clandestin La Vérité, tandis que Jeanine, leur sœur ainée, est mise à contribution pour dactylographier des tracts locaux. On retrouve également Georges BERTHOME aux Auberges de Jeunesse. Un rapport de police de mars 1942, indique ainsi qu’il figure dans les 21 adhérents des CLAJ (Club Loisirs Action Jeunesse) de Nantes Beaulieu.

Selon Serge TUAUDEN, dirigeant local de la IVème internationale – dans un entretien à Henri BERTHOME au début des années 1970 -, c’est au second semestre 1942 que Georges et Henri adhèrent à la IVème internationale, Georges travaille alors aux Services des Mines et Henri aux Chantiers navals Dubigeon.

Le second semestre 1942 est marqué par une accentuation de la répression nazie contre toutes les résistances, notamment contre les militants communistes du département, et par le début de la « chasse aux jeunes » pour les convaincre puis les forcer de partir travailler en Allemagne pour remplacer les ouvriers mobilisés. Ces mois terribles sont aussi ceux l’échec de l’offensive nazie contre Stalingrad, tournant majeur de la guerre.

Pour les Comités pour la IVème internationale, qui en janvier 1943 reprennent le nom de Parti Ouvrier Internationaliste, section française de la IVème internationale, une nouvelle étape de la résistance antinazie, ouvrière et internationaliste s’ouvre. Leur congrès national de janvier 1943 déterminent deux priorités : la première, aider les travailleurs et les jeunes à retrouver les chemins de la lutte collective, c’est la stratégie du Front Ouvrier. La seconde, s’adresser aux soldats allemands hostiles aux nazis pour les convaincre de passer à une résistance antinazie active au sein même de l’armée allemande et à la fraternisation avec leurs frères de classe.

En application de cette orientation, deux décisions majeures sont prises localement par les militant·es du nouveau Parti Ouvrier Internationaliste de la région nantaise : le lancement d’un journal clandestin en direction des grandes entreprises. Le FRONT OUVRIER, journal des ouvriers de la région nantaise, sera imprimé à Couëron par Roger TUAL, un ancien des Jeunesses socialistes, et diffusé clandestinement, de juillet 1943 à la libération, sur une dizaine de grandes entreprises de Nantes et la Basse-Loire, et la préparation d’une intervention politique en direction des soldats allemands.

Avec Robert CRUAU qui parle et écrit assez bien l’allemand, Georges BERTHOME est le seul à maitriser un minimum cette langue. Sans hésitation, il accepte de travailler avec Robert CRUAU pour se préparer à ce travail politique de fraternisation internationaliste au sein de l’armée allemande, en même temps qu’il aide à construire le réseau des contacts qui nourriront les pages du FRONT OUVRIER. Dans ce réseau, se retrouveront très vite, Jeanine BERTHOME et Paul BILLON, son futur mari.

En février 1943 est instaurée la loi créant le Service du Travail Obligatoire. Né en 1920, Georges BERTHOME est directement concerné et, vite, il doit prendre d’infinies précautions pour ne pas tomber dans les filets des gendarmes chargés de confondre et d’arrêter les réfractaires.

En avril 1943, Georges BERTHOME, auxiliaire aux Services des Mines de Nantes, démissionne de son travail, officiellement pour échapper au STO. A sa famille et à ses proches, il fournit la même explication pour leur annoncer qu’il quitte la région nantaise. Mais, en réalité c’est bien d’abord une décision politique collective qui conduit cinq nantais, Robert CRUAU, Georges et Henri BERTHOME, Alexandre BOURGUILLEAU et Serge TUAUDEN à quitter Nantes pour Brest.

Première étape Quimper. Ils sont accueillis chez une jeune militante, Eliane RÖNEL, qui va leur permettre d’être dotés de nouveaux papiers d’identité. Georges BERTHOME devient ainsi Jacques BARON et Robert CRUAU, Roger Albert COSQUER. La semaine suivante, sous ces noms d’emprunts, ils rejoignent et s’installent à Brest où les camarades finistériens du POI-IVème internationale ont déjà retenus des logements. Georges BERTHOME partage une chambre avec Robert CRUAU, rue d’Algésiras.

Là encore avec l’aide des camarades brestois, ils se font embaucher par une entreprise qui travaille pour la TODT pour la construction du mur de l’Atlantique. Ce travail permet aux deux frères BERTHOME d’accéder à la base-sous-marine. Georges BERTHOME mobilise ses compétences professionnelles pour faire des relevés précis, en particulier des fameux sas de rentrée et de sortie des sous-marins. Par l’intermédiaire d’un militant gaulliste du réseau CND Castille, ancien militant des Jeunesses socialistes, ces renseignements sont envoyés à Londres. Ils permettent à la Royal Air Force un bombardement mieux ciblé qui rend l’accès à la base impossible pendant plusieurs semaines et vaut au groupe Front Ouvrier de Brest une citation sur radio-Londres.
En juin 1943, parait également le premier numéro du FRONT OUVRIER brestois, journal clandestin auquel participent activement Georges BERTHOME et Robert CRUAU.

Martin MONATH, juif berlinois installé clandestinement à Paris, est en charge du travail militant de la IVème internationale en direction des soldats allemands. Il a déjà contact avec Robert CRUAU et Georges BERTHOME et vient régulièrement à Brest rencontrer les contacts allemands. Sous sa responsabilité, un bulletin clandestin en langue allemande, ARBEITER UND SOLDAT (Travailleur et Soldat) est édité début juillet 1943. Il est diffusé à Brest où déjà un petit groupe de soldats allemands antinazis a été réuni avec l’aide de Max (Robert CRUAU) et de Jacques (Georges BERTHOME)..

Trois semaines plus tard, c’est un journal de ce groupe clandestin des soldats allemands de Brest qui est édité et diffusé : Zeitung für Soldat und Arbeiter im Westen, (Le journal pour les soldats et travailleurs du front ouest). Ecrit par les soldats allemands de Brest, en lien avec Martin MONATH, Robert CRUAU et Georges BERTHOME, il est dactylographié sur six pages et imprimé par un militant brestois, André CALVES, à une centaine d’exemplaires. Trois autres numéros suivront durant l’été 1943.

Les mois de juin à octobre 1943 seront des mois d’activités intenses et de tension extrêmes pour Robert CRUAU et Georges BERTHOME, partagés entre l’animation du groupe local du POI-IVème internationale, la rédaction et la diffusion du FRONT OUVRIER brestois et le travail allemand, activité évidemment encore à plus haut risque. Conscients des risques encourus, ils décident le retour à Nantes, à la mi-août, d’Henri BERTHOME et d’Alexandre BOURGUILLEAU. Serge TUAUDEN était déjà retourné à Nantes quelques semaines plus tôt pour lancer le FRONT OUVRIER nantais.

Courant septembre, alertée par des remarques et rapports de plusieurs camarades allemands, la direction du POI décide d’éloigner Robert CRUAU de Brest et de confier la responsabilité du travail de fraternisation à un dirigeant national particulièrement expérimenté, Marcel BAUFRERE. Le premier week-end d’octobre 1943, Marcel BAUFRERE, Robert CRUAU et Georges BERTHOME se réunissent à Quimper chez Eliane RÖNEL. Mais il est trop tard.

Trahis par un soldat du groupe, Robert CRUAU, Georges BERTHOME et Marcel BAUFRERE sont recherchés par la police militaire allemande. A son retour de Quimper, en sortant de la gare, Robert CRUAU est abattu par la police militaire le 6 octobre 1943. Marcel BAUFRERE et son épouse et Georges BERTHOME sont arrêtés quelques heures plus tard.

Les rafles de la Gestapo se poursuivent pendant plusieurs semaines. Tous les soldats allemands du groupe sont fusillés ou envoyés sur le front de l’Est. Une quinzaine de militants et de membres de leurs familles sont arrêtés à Brest. Arrestations aussi à Quimper, à Paris et à Nantes – Serge TUAUDEN et Alexandre BOURGUILLEAU échappent de peu à la Gestapo grâce à la désorganisation consécutive aux bombardements des 16 et 23 septembre 1943 mais Henri BERTHOME est arrêté, le samedi 30 octobre, à son domicile rue Victor Hugo, à Rezé.
Toutes les personnes arrêtées sont interrogées durement pendant plusieurs semaines à la prison de Rennes. Sans le moindre procès, onze d’entre eux sont transférés au camp de transit nazi de Royallieu à Compiègne début janvier 1944, puis, le 22 janvier 1944, les femmes sont déportées à Ravensbruck (Eliane RÖNEL, Anna KERVELLA, rejointes quelques semaines plus tard par Marguerite METAYER) et les hommes à Buchenwald et Dora (Georges BERTHOME, Henri BERTHOME, Yves BODENES, Marcel BAUFRERE (alias Ferdinand LESTIN), André DARLEY, André FLOC’H, Albert GOAVEC, Gérard TREVIEN)

A l’arrivée à Buchenwald, les SS constatent que Georges et Henri BERTHOME sont frères. Ils les séparent immédiatement. Henri est transféré au camp de Dora. Après s’être embrassés, geste unique entre eux, Georges BERTHOME – matricule 42 401 – dit alors à son frère : « Quoique tu fasses, où que tu ailles, quoi qu’il arrive, conduis-toi toujours en militant révolutionnaire responsable ». (Témoignage d’Henri BERTHOME a son retour de déportation)

Henri BERTHOME fut libéré le 15 avril 1945. Il rejoindra Nantes fin mai 1945. Georges BERTHOME ne reviendra pas. « Déporté non rentré », il faudra les longues démarches de sa famille pour apprendre que leur fils ou frère est supposé mort fin avril 1945 lors des marches de la mort que les responsables des camps nazis organisèrent pour tenter de soustraire les déportés aux forces soviétiques et alliées.

Le 4 juillet 1952, sur proposition du socialiste Arthur Boutin, le conseil municipal de Rezé donne le nom de « Georges BERTHOME, (1920-1945), victime du nazisme « à une rue de Rezé.

Mais il faudra attendre huit décennies, le 5 octobre dernier à Brest, pour qu’enfin un hommage officiel soit rendu « aux résistants trotskystes membres de la IVème internationale, Georges BERTHOME (1920-1944), Yves BODENEZ (1921-1944), Robert CRUAU (1921-1944), André FLOCH (1923-1945), Albert GOAVEC (1922-1945), résistants du secteur de Brest, morts pour la Fraternité entre les peuples » (texte de la plaque apposée au 87 rue Richelieu et inaugurée par François Cuillandre, maire de Brest).

Cet hommage est complété par une seconde plaque, en français et en allemand, apposée face de l’Arsenal, indiquant « A Brest en 1943, face à l’occupation et à la terreur nazie, des militants ouvriers français et des travailleurs allemands sous l’uniforme ont œuvré pour la fraternisation internationaliste entre les peuples, en éditant en commun le journal Arbeiter und Soldat (Quatrième internationale) »

Révolutionnaire internationaliste, militant de la IVème internationale, Georges BERTHOME a consacré sa courte vie au combat contre le fascisme et l’exploitation capitaliste, pour la liberté, la fraternité et l’émancipation. Il se revendiquait communiste internationaliste, un communisme qu’il n’a jamais confondu avec la dictature de Staline et le stalinisme.

80 ans après sa disparition, c’est tout autant au jeune homme, enjoué, chaleureux, colérique parfois, qu’au militant déterminé, rigoureux et courageux que nous rendons hommage.

François Préneau, le 19 avril 2025

PS) A la libération, les hommages qui furent rendus à Georges Berthomé dans sa ville de Rezé, où depuis 1952 une rue porte son nom, ne retiennent que son appartenance au réseau CND Castille, ce qu’il ne fut pas. Malgré la ténacité de ses frères et sœurs, notamment Jeanine et Henri, à rappeler que Georges était un communiste internationaliste, militant de la IVème internationale et farouchement antistalinien, il a fallu attendre huit décennies pour qu’un premier hommage officiel reconnaissant son identité politique lui soit rendu à Brest le 5 octobre 2024.

Mais à Rezé, dans la commune où Georges BERTHOME a grandi, vécu et lutté, cette reconnaissance ne reste toujours que partielle et se heurte encore à d’insupportables oppositions.

Puisse la note mémorielle ci-dessus contribuer à ce que l’hommage à Georges BERTHOME soit fidèle au militant et résistant antinazi, ouvrier et internationaliste qu’il fut.

Sources :

Résistance antinazie, ouvrière et internationaliste. De Nantes à Brest, les trotskistes dans la guerre (1939-1945). Livre co-écrit par Robert HIRSCH, Henri Le DEM et François PRENEAU. Editions Syllepse.

Revue Rezé Histoire, numéro 95, mars 2025, Georges Berthomé le militant internationaliste, entretien avec Robert Hirsch et François Préneau, par Jacques Daniel

Le Maitron
: https://maitron.fr/spip.php?article220897

Lez Rezéens dans la Seconde Guerre Mondiale, Heliette PROUST, Gilberte LARIGNON et Chantal LAMOTTE D’INCAMPS (1985), témoignage de Jeanine BERTHOME-BILLON

Cet article est initialement paru sur le site de Médiapart, le blog : https://blogs.mediapart.fr/francois-preneau/blog/190425/hommage-georges-berhome-1920-1945