“Ma claque. Ca craque.”, par François Ruffin

On en a plein le derrière.
Et je reste poli, je pense à ma mère.
Y en a marre.
Ca suffit.
On vous a donné un an, oui, tout un printemps à l’isolement, avec les Ausweis pour sortir, les parcs et jardins interdits, les enfants enfermés, les grands-parents qui ne voient plus les petits. Et depuis, c’est pire, on vasouille, déconfinement, re-confinement, re-déconfinement, et peut-être, bientôt, le re-re-confinement, plus les couvre-feux à 20 h, à 18 h, les commerces ouverts, fermés, ouverts, les pas plus de six à table.
On patauge, on pédale dans la semoule.
On vous a donné un an, un an pour tout rater, les masques, les tests, les vaccins.
On vous a donné un an d’obéissance, de docilité comme jamais, mais maintenant, y en a ras le bol.
Ma claque.
Ca craque.
Fin décembre, je rencontrais le président de l’Université de Picardie : « On a fait passer des questionnaires auprès de nos étudiants, il me racontait, sur les 3450 réponses qui nous sont remontées, 20 % ont scénarisé leur suicide. »
Waouh.
Ca me paraissait énorme.
J’avais beau les entendre, les lire, ces témoignages, de Maëlys : « J’ai envie de me taper la tête sur la table, tellement je n’en peux plus », Jessica, « Je pleure tout le temps, je ne me fais même plus à manger, je passe mes journées allongée dans mon lit », de Yann, « J’ai même picolé seul dans ma chambre tellement j’étais désespéré », j’avais beau, 20% de notre jeunesse étudiante qui aurait scénarisé son suicide, y a un biais d’enquête, je me disais.
Et puis, vient de tomber, l’étude, nationale, elle, de Santé Publique France.
Près de 30%, 29% exactement, des 18-25 ans sont en dépression.
50 %, la moitié, un sur deux, sont inquiets pour leur santé mentale.
Et certains, combien ?, ne se contentent pas de le scénariser, leur suicide. Cette semaine, un étudiant vient de se défenestrer à Lyon. En novembre, c’est à Nice, à Montpellier, que deux drames survenaient. Et un autre, en octobre, à Nancy. Les organisations étudiantes vous demandent cela : combien de suicides ? Combien ?
Nous l’ignorons.
Vous l’ignorez.
Et vous répondez à la détresse par un numéro vert !
C’est de la faute au virus, vous me direz. Oui, évidemment, en partie.
Mais c’est de la faute, aussi, à votre politique.
D’abord, parce que vous n’en avez rien à secouer, de cette santé mentale. La preuve ? Dans votre conseil scientifique, dans votre conseil de défense, pas un seul expert, pas un seul médecin, pas un seul statisticien qui travaille là-dessus, sur la santé mentale. C’est la marque, évidente, que ça ne pèse pas dans la balance, ces dépressions, ces idées suicidaires, ce mal-être psychique. Que dans vos décisions, ça ne compte pas.
Vos décisions, justement, quelles décisions ? Comme un ça va de soi, à l’automne, vous fermez les amphis, vous fermez les facultés, vous fermez les universités. Les profs se débrouilleront avec Zoom, ils feront de la visio, c’est l’avenir, quoi, le numérique, qu’ils s’y mettent enfin, ces ringards, l’occasion de moderniser tout ça, de massifier pour pas cher.
Les usines tournent.
Les sites Amazon tournent.
Cet amphi, ici, de 577 personnes, tourne.
Mais les autres amphis du pays, eux, doivent fermer. Pourquoi ? Après quelles discussions ?
Après zéro discussion.
Où votre « doctrine », comme vous dites, pour masquer votre nullité, où votre « doctrine » est-elle débattue, discutée, votée ? Nulle part, ni ici ni ailleurs.
Où met-on en question que, au fond, on enferme les jeunes pour protéger les plus âgés ? Ni ici ni ailleurs.
Où examine-t-on le pour et le contre de mesures plus ciblées, sur les plus fragiles, sur les plus à risque, plutôt qu’un confinement généralisé ? Plutôt qu’un pays mis à l’arrêt ? Ni ici ni ailleurs.
Alors, je viens ici, pas pour pleurnicher, mais avec une demande claire, nette, précise :
Rouvrez les amphis.
Rouvrez les amphis !
Rouvrez les amphis !
Décidez-le tout de suite, et faites-le très vite.
Si, demain, vous re-confinez le pays, eh bien vous les re-confinerez avec. Vous les re-confinerez avec les entreprises. Vous les re-confinerez avec les lycées, avec les collèges, avec les écoles. Soit. Comme toute la Nation. Mais pas, aujourd’hui, contre eux, une loi d’exception.
Cette demande de bon sens, vous n’en ferez rien, et je veux dire pourquoi.
Pourquoi, depuis un an, l’enfermement des jeunes.
Pourquoi leur mort sociale.
La réponse est simple :
Ils ne votent pas, ou peu.
Ils ne sont pas, ou peu, organisés.
Ils ne protestent même plus.
« S’il ne fait aucun doute que des révoltes ont existé, écrivait Max Weber, ce qui appelle manifestement une explication, c’est surtout le fait qu’elles n’aient pas été plus nombreuses. »
Et oui, j’espère, j’aspire, à une révolte des jeunes.
Que leur vitalité se répande en cris, en manifs, plutôt qu’une une résignation mortifère, solitaire.
Oui, je préfèrerais qu’ils prennent la rue plutôt que du Xanax.
18 janvier 2021