Pour 2022, une échéance et peut-être une chance

« Peut-on transformer le danger en opportunité? » C’est la question que posent Annick Coupé, Pierre Khalfa, Gustave Massiah et Marie-Pierre Vieu, contre l’offensive conservatrice et réactionnaire. Pour eux, les échéances électorales doivent inviter à « mobiliser les mouvements sociaux et citoyens ». Ils exhortent à construire un vaste mouvement de collectifs de base et une plateforme commune entre les gauches qui permettra aux mouvements sociaux de prendre pleine part à l’élection.  Cette tribune est parue initialement sur le site de Médiapart.fr

En 2022, nous serons confrontés à une échéance électorale, celle des élections présidentielles et législatives. Si un succès électoral n’est aucunement la garantie d’une transformation sociale et écologique, les conséquences surtout négatives de ces élections peuvent être considérables. Le scénario d’un second tour opposant une nouvelle fois Emmanuel Macron et Marine Le Pen au deuxième tour laisse présager du pire. L’explosion des abstentions accompagnera un scrutin réduit à choisir entre reconduire la politique de droite, régressive et liberticide de l’actuel pouvoir contre celle ouvertement anti sociale et raciste d’une extrême droite décomplexée. Sans même attendre cette échéance, la dégradation des situations démocratiques, sociales et environnementales s’est accentuée et a atteint un niveau très inquiétant. Peut-on transformer ce danger en opportunité ?

Il ne s’agit pas seulement d’un choix électoral

Il ne s’agit pas seulement d’un choix électoral. L’offensive conservatrice et réactionnaire se poursuit systématiquement. Elle se déploie dans trois directions : faire payer la crise économique et sociale accentuée par la pandémie aux travailleurs et aux précaires en rétablissant la primauté des profits ; organiser le déni des impératifs écologiques et climatiques ; renforcer les répressions et les violences policières et affaiblir l’État de droit et les libertés démocratiques.

Cette échéance s’inscrit dans une crise systémique accentuée par le rôle de la pandémie et du climat. En France et dans le monde, les mouvements sociaux et citoyens devront définir leur stratégie face à une situation contradictoire. Dans l’immédiat, il leur faudra résister à la « stratégie du choc » analysée par Naomi Klein et qui explicite la violence qui sera mise en œuvre par les classes dominantes pour renforcer leurs pouvoirs. Cette violence est d’autant plus forte que les coups de boutoir des mobilisations insurrectionnelles se sont multipliés depuis 2011, en réponse à la crise financière de 2008. Ce qui se passe aux Etats Unis se retrouve dans beaucoup de pays ; un mouvement radical comme Black Lives Matter a démontré que face aux inégalités, aux discriminations, aux racismes, une partie de la société américaine s’est mobilisée. Elle s’est affrontée à la montée de courants racistes, xénophobes, identitaires avec des formes fascisantes. En France, les discriminations racistes, l’islamophobie, les violences policières trouvent des relais identitaires qui instrumentalisent la situation attisée par les attentats. Ils se heurtent à des mobilisations et à un refus de la remise en cause des libertés démocratiques.

Un nouveau monde conteste le vieux monde

Les mouvements ne se contentent pas de résister. Ils mettent en avant des alternatives. Il s’agit de construire un nouveau monde dans le vieux monde, comme le capitalisme a commencé à s’imposer sous le féodalisme et comme les services publics ou la sécurité sociale avaient commencé à brider la dynamique du capital. Pendant la période où une partie de l’humanité a été confinée et où l’idée d’un travail socialement utile a progressé, on a vu s’exprimer de nombreuses propositions, et parmi d’autres : la santé publique, les communs, le buen vivir (bien vivre), l’action publique, la limite des marchés, l’économie sociale et solidaire, les nouvelles énergies, la souveraineté alimentaire, les localisations… La religion du développement capitaliste a perdu son sens, c’est aussi une crise philosophique qui le touche, la fin du monde et du temps infini ; c’est une crise de civilisation.

Mais la bataille contre l’hégémonie culturelle du néolibéralisme n’est pas finie. Elle est à mener chaque jour qui passe face au rouleau compresseur des médias dominants, à la force d’attraction que peut représenter le mirage du consumérisme. Contre l’idéologie de la mondialisation capitaliste néolibérale et mortifère, nous mettons en avant les droits et l’égalité des droits, les droits contre les profits ; les droits à la santé, à l’éducation, au revenu et au travail, les droits et obligations de l’environnement et du milieu de vie. Nous mettons en avant le refus des discriminations et du racisme, les droits des femmes et le refus des violences policières. C’est un nouveau mouvement global qui mêle les classes, les genres et les origines ; c’est la prise de conscience de l’actualité de la colonisation dans les sociétés modernes. Ces idées ont progressé, la crise du climat et de la pandémie ont démontré leur importance.

L’échéance électorale, une condition peut-être nécessaire, mais sûrement insuffisante, du processus de transformation

Ces tâches des mouvements sont essentielles, elles s’inscrivent dans la durée et dans la construction de la transition écologique, sociale, démocratique et géopolitique. Il n’y a pas d’issue prédéterminée et il faut préparer les ruptures. L’échéance électorale peut être la condition nécessaire, mais sûrement insuffisante, pour une bifurcation de la société. Elle donc est un moment qu’on ne peut pas ignorer. Une bataille qui peut freiner des possibles dangereux et en faciliter d’autres.

Les appels se sont multipliés pour qu’aux élections présidentielles, un candidat unique des courants démocratiques, écologistes et de gauche puisse y faire bonne figure et peut-être même l’emporter. Il y a beaucoup d’interrogations sur les difficultés à construire une telle candidature commune pour 2022. Pour l’instant rien n’empêchera tous les partis de se placer avec un ou plusieurs candidats. La période à venir sera donc celle de la multiplication des candidats. Si la question d’une candidature commune de la gauche et de l’écologie politique rencontre nombre d’obstacles, elle n’est pas pour autant impossible, mais elle ne trouvera un chemin éventuel que dans la période des quelques mois qui précéderont les élections lorsque cette multiplication des candidatures fera éclater au grand jour le risque de catastrophe. Au moment où on verra que le piège Le Pen – Macron, ou d’un candidat encore plus à droite si ce dernier s’effondre, peut encore fonctionner. Les mobilisations citoyennes en tenant compte de l’opinion et en s’appuyant sur ses préférences par rapport aux candidats en lice pourront faire pression pour les regroupements possibles.

Que pouvons-nous faire d’ici là ? D’abord, commencer à construire une dynamique citoyenne pour un rassemblement. C’est l’objectif de la démarche « 2022 (vraiment) en commun » initiée par des réseaux jeunes et à laquelle participent nombre de citoyen.es engagés, qu’ils soient responsables associatifs, politiques, syndicalistes, intellectuels… et de nombreuses autres initiatives citoyennes. Travaillons aussi à définir un programme de gouvernement unitaire sur des engagements à la fois alternatifs et réalistes. Préparons les législatives de 2022 autour d’un programme de gouvernement et des candidatures qui le soutiendront. Ce programme permettra de redonner confiance à celles et ceux qui veulent s’engager. Il pourra élargir l’assise des mouvements divers de la gauche, de l’écologie, de la démocratie et il permettra d’envisager autrement les possibilités d’une candidature unique aux présidentielles. Construisons un vaste mouvement de collectifs de base. Mobilisons les mouvements sociaux et citoyens.

Un rappel de quelques précédents historiques

Un bref rappel de quelques précédents historiques permet de réfléchir à ce qui peut être attendu d’un sursaut des mouvements démocratiques, de gauche et écologiste à l’occasion de cette échéance.

En réponse aux émeutes fascistes du 6 février 1934 un mouvement pour l’unité d’action de la gauche se manifeste. La Ligue des Droits de l’Homme réunit à son siège les partis de gauche ; le programme du Front Populaire est adopté et permet une victoire électorale en 1936. C’est un programme très modéré mais qui se veut en rupture nette avec les gouvernements précédents (il propose une démocratie sociale par rapport à la droite et à l’extrême droite). Un mouvement social sans précédent, une grève générale avec occupation, le forcera à aller plus loin (Il en reste les congés payés, la réduction du temps de travail hebdomadaire à 40 heures, les conventions collectives), même si à force de modération le Front populaire s’est embourbé.

En 1944, le programme adopté par toutes les forces politiques du Conseil National de la Résistance comprend un plan d’action immédiate, les mesures pour achever la libération des territoires, et des mesures politiques (suffrage universel, liberté de la presse), économiques (planification et nationalisations) et sociales (rajustement des salaires, syndicalisme indépendant, plan complet de sécurité sociale). Il est alternatif par rapport aux forces politiques et économiques de l’occupation. Il est réaliste en proposant les grandes réformes qui vont moderniser dans un sens progressiste la société française.

En 1981, un programme commun résulte d’une valse-hésitation, entre le PS et le PCF ; « je t’aime, moi non plus ». Ils remportent les législatives avec un programme relativement alternatif mais ils se heurtent à la victoire du néolibéralisme dans la mondialisation sans une base sociale suffisamment unie et surtout sans la volonté de s’y opposer. Et ils s’enfoncent dans la gestion du néolibéralisme. N’oublions pas d’autres précédents historiques dans l’articulation entre mouvement social et échéances politiques. Par exemple, les grèves de 1995 et les luttes des sans-papiers de Saint Bernard en 1996 pèseront pour les résultats électoraux de la gauche plurielle en 1997 et se traduiront par les 35 heures, dont La mise en œuvre a été hélas très problématique, la CMU (Couverture maladie universelle) et la dernière régularisation massive de sans-papiers. Pourtant la dérive néolibérale de ce gouvernement a pris le pas sur les avancées sociales, mais elle n’annule pas les résultats obtenus par les luttes des mouvements sociaux et citoyens.

Pour 2022, les forces politiques écologiques et de gauche seront elles capables de définir un programme alternatif par rapport à la droite et à l’extrême droite portant sur les orientations écologiques, sociales, démocratiques et géopolitiques. Un programme réaliste par rapport à la situation en reprenant et rendant compatibles les avancées possibles pour un accès aux droits pour toutes et tous (droit à la santé, au revenu, au travail, au logement, aux libertés démocratiques, à la citoyenneté, aux identités multiples). Un programme susceptible de créer les bases sociales d’appui nécessaires à son adoption et à sa mise en œuvre. Un programme qui soit un premier pas vers des transformations radicales.

Une démarche

D’ici 2022, la démarche devrait s’appuyer sur trois actions autonomes et coordonnées :

– des collectifs de base qui se multiplient autour de cahier de doléances et d’une interpellation de tous les candidats se prévalant d’une approche démocratique, écologiste et sociale, à la présidentielle et peut-être aussi aux législatives. Cette démarche pourrait aller, là où c’est possible, vers l’organisation de primaires entre les candidat.es – qu’ils/elles émanent d’organisations, de fronts, ou des collectifs eux-mêmes ;

– l’élaboration d’une plate-forme commune entre les gauches, l’écologie politique, voire d’autres acteurs qui ne viennent pas forcément de ces deux pôles mais qui souhaitent œuvrer à une transformation écologique, sociale et démocratique effective de la société ;

– la définition par les mouvements sociaux et citoyens de ce qu’ils revendiquent et proposent, dans leur champ d’action, pour un contrat de législature et l’organisation de débats publics permettant de confronter ces propositions, de les discuter avec les partis, de les soumettre aux collectifs de base.

Signataires : 

Annick Coupé, 
Pierre Khalfa,
Gustave Massiah,
Marie-Pierre Vieu,
membres de Attac et de la Fondation Copernic