Tribun

S’il en était encore besoin, la langue française reste bien tributaire de l’origine historique  des mots et de leur absence d’évolution pour refléter le présent.

Ainsi le mot tribun. A l’origine, représentant d’une tribu. Celle de la plèbe, (élu par les citoyens), celle des militaires, un officier supérieur à la tête d’une légion, un membre du tribunal de France sous le Consulat et l’Empire.

Nom masculin. Quel serait son féminin ? Bien évidemment pas « tribune », qui est soit l’estrade, soit l’article de presse. Personne ne ferait le lien avec une femme tribun. Pourtant nous connaissons bien des femmes qui, aujourd’hui comme hier, sont des oratrices populaires, à l’éloquence puissante et directe (définition du Petit Larousse illustré 2010). Il y en eu sous la révolution française. On les jugea dangereuses et certaines finirent guillotinées, comme Olympe de Gouges qui rédigea la « déclaration des droits de la femme et de la citoyenne ». Il y en eu qui résistèrent à la colonisation esclavagiste et incitèrent au marronnage, préférant avorter plutôt que de donner le jour à des enfants esclaves. Comme leurs compagnons, elles furent exécutées. Il y en eu dans les révoltes contre la faim et la misère. On les jugea dangereuses et elles furent abattues, comme tous ceux et toutes celles qui prirent part aux émeutes, aux cris de « du travail et du pain ». Il y en eu pour participer aux révoltes des canuts, et participer à la création de syndicats de métiers. Leur sexe ne leur a pas évité les balles. Peu d’historien.nes ont fait l’effort de conserver leur nom. Il y en eu pendant la Commune de Paris, comme Louise Michel, qui fut déportée en Nouvelle Calédonie. Il y eu des Saint-Simoniennes, comme Jeanne Deroin, qui animèrent des conférences, qu’on appelaient alors « prédications » mettant en cause l’esclavage des femmes, la hiérarchie de l’Église, la domination masculine qui perdurait malgré les projets d’un autre fonctionnement de la société. (tiré du livre « Les luttes et les rêves » de Michelle Zancarini-Fournel). Plus près de nous, il y en eu pour mener des luttes ouvrières, des luttes paysannes, pour participer à la résistance pendant la guerre, pour écrire et enseigner, devenir députées ou ministres. Les habitudes évoluant, on se contentât de les huer, de mettre en doute leur vertu, leurs compétences à exercer ces fonctions ou ces postes.

A toutes les époques, des femmes se sont dressées pour dénoncer l’ordre établi et tenter de convaincre leurs camarades de lutte et toute la société que l’égalité des droits valait la peine de se battre. Et parfois d’en mourir.

Mais jamais on ne remit en cause l’idée que seul un homme pouvait être un tribun, un vrai. Et aucun  synonyme ne répare complètement cette injustice. Parmi ceux-ci on trouve, foudre, magistrat, officier, orateur. Foudre de guerre, tout mais pas ça. Magistrat, qui donne magistrate, Officier, qui n’a pas de pendant féminin, ne correspondent pas à ce qu’est un tribun aujourd’hui. Orateur, qui se décline en oratrice, est plus proche. Mais il y a des bons et de mauvais orateurs, alors qu’un tribun sort du lot. Une oratrice d’exception alors ? Je suis sûre que sans chercher bien loin, nous en connaissons tous et toutes quelques unes.

Nantes le 3 mars 2021

Aline Chitelman