Depuis plusieurs mois, l’exécutif, encouragé par une sphère médiatique hystérique, a décidé d’abandonner toute nuance et toute forme d’apaisement : « tenue républicaine », « sécurité globale », « séparatisme »… on assiste à une surenchère autoritaire totalement irraisonnée.
Par sa dérive sécuritaire assumée, le gouvernement veut empêcher la droite et l’extrême droite de s’engouffrer davantage dans un sujet que leurs responsables politiques ont identifié comme la principale faiblesse d’Emmanuel Macron pour 2022. Le gouvernement se positionne donc comme un concurrent valable à ces droites, en se radicalisant davantage vers le tout répressif sous couvert de défense de la République et de ses valeurs.
Et quoi de mieux pour ravir des voix à la droite que de lui piquer ses raccourcis simplistes ?! Du grandiloquent, du scandaleux, du fait divers transformé en généralité… et tout ça grâce à la complicité et la complaisance des médias « d’information ». Le procédé est simple : faire du buzz sur des épiphénomènes, des niches qui concernent une minorité de personnes afin de les rendre omniprésents, incontournables dans le débat public et d’attiser la peur, la haine et les divisions.
Le projet de loi sur le « séparatisme » est la parfaite manifestation de ce procédé. Le texte est un fourre-tout. Mélangeant tout, légiférant sur tout : la religion au sein de la sphère privée, la religion dans la sphère publique, le terrorisme… cette loi use dangereusement de tous les clichés et stigmatise sans honte.
Première hystérisation générée par ce texte : les certificats de virginité. Avec cette loi, les médecins délivrant ces certificats risqueraient un an de prison et 15 000€ d’amende. A entendre les médias, le phénomène prendrait une ampleur croissante dans la société. Sans nier son existence, il est urgent de le ramener à sa juste proportion.
Selon divers praticiens il apparaît minime : pour un planning familial du Nord de la France, sur 800 à 900 femmes reçues par an, il y aurait 4 demandes de certificats. Les certificats de virginité sont un phénomène non chiffré, et le gouvernement lui-même admet ignorer combien sont signés chaque année en France.
Mais au-delà de la disproportion donnée à ce phénomène minoritaire, il apparaît surtout que la mesure prévue par cette loi sera totalement contre-productive. En effet, ce document peut aider la patiente à échapper à une pression familiale trop forte ou à des violences. Qu’adviendra-il à ces jeunes filles si elles ne peuvent se le procurer ? Rappelons surtout que c’est au cours de ces visites que les médecins peuvent convaincre les patientes d’entamer des démarches d’accompagnement, ou d’effectuer un signalement aux autorités compétentes. L’interdire annulerait ainsi toute possibilité de dialogue et d’aide concrète à ces patientes.
Autre obsession délirante du gouvernement : « les petits fantômes de la République ». Dans une sortie qui frise l’absurde, Darmanin s’inquiète de la disparition du système scolaire de nombreux élèves qu’il assure vouloir « sauver des griffes des islamistes ». A l’entendre, ce sont des milliers d’enfants qui sont embrigadés dès leur plus jeune âge dans des écoles coraniques. Ainsi, le projet de loi prévoit d’interdire l’instruction à domicile et de mettre en place un identifiant national pour chaque enfant d’âge scolaire afin de pouvoir assurer leur suivi.
Pour rappel, l’instruction à domicile concerne actuellement près de 50 000 enfants. Un chiffre microscopique au regard des 12 millions d’élèves (0,5 %). Les raisons de l’instruction à domicile sont multiples : volontés pédagogiques alternatives de la part des parents, évitement du harcèlement scolaire, réponse à un mal-être à l’école… Qu’il faille combattre les dérives d’une instruction à domicile pour des raisons purement religieuses ou fermer des écoles hors contrats administrées par des extrémistes religieux, nous en convenons. Mais rappelons qu’il s’agit dans ce cas de combattre tous les extrémismes religieux, et non pas simplement l’extrémisme islamiste comme se plait à le restreindre le ministre de l’Intérieur. Et arrêtons surtout de prétendre que ces exceptions représentent la norme !
Enième monomanie du projet de loi : l’obligation de neutralité religieuse. En l’étendant aux sous-traitants du service public, ce projet de loi met en avant une mesure purement symbolique. Et quel symbole… L’obligation de neutralité des délégataires de service public est déjà assurée par une jurisprudence de 2013, l’inscrire dans la loi est donc un prétexte pour le gouvernement. Il permet de réouvrir un débat qui sied à l’électorat de droite, et tant pis s’il génère le plus souvent des commentaires réactionnaires voire racistes.
Transformer des faits divers et en faire des généralités est un procédé franchement douteux. Ainsi à entendre les médias, le cas du “conducteur de bus de la RATP” devient la norme. Traiter ces problèmes précis est une nécessité, légiférer sur l’ensemble des employés sous-traités par le service public, non. D’autant qu’aucune des mesures proposées ne s’attaquent aux possibles causes des dérives extrémistes et se contentent de réprimer bêtement les conséquences.
Rappelons aussi que pour les personnes visés par cet article, les conditions de travail sont déjà suffisamment dégradantes (salaires de misère, horaires hachées ou décalées, métiers peu considérés socialement…) pour ne pas en plus que l’Etat puisse être omnipotent sur ce qui relève de la sphère privée, à savoir leurs croyances ou leur manière de se vêtir ! Que ces employés (qui ne sont pas fonctionnaires rappelons-le) n’aient en aucun cas le droit de faire du prosélytisme c’est évident, qu’ils doivent traiter équitablement tous les usagers et s’abstenir de manifester leurs opinions religieuses dans l’exercice de leurs fonctions bien sûr, mais qu’on leur interdise de s’habiller de la manière qui leur convient est une aberration qui nie le principe même de laïcité !
Les phénomènes soulevés par ce projet de loi doivent être traités, mais dans le cadre d’un débat serein et par un dialogue et des mesures bien plus efficaces et pérennes que le seul réflexe simpliste du tout répressif.
Rappelons néanmoins que ces phénomènes demeurent minoritaires, il nous faut les relativiser. Ainsi, hystériser le débat public et médiatique autours d’épiphénomènes soigneusement choisis pour leur capacité à séduire l’électorat de droite est un procédé grossier et dangereux.
Les dirigeants, dans la période actuelle, ne devraient avoir qu’un seul objectif : l’apaisement. Le gouvernement fait tout le contraire, en attisant les haines et en mettant de l’huile sur le feu il agit de manière totalement irresponsable. Ce projet de loi traduit une vision profondément réactionnaire de la société et œuvre à la dangereuse banalisation d’un discours haineux et ostracisant. Que Macron se rassure, il gagne totalement en légitimité à droite et va même jusqu’à valider pour partie le discours du RN !
Cet article est paru initialement sur le site du Fil des communs