Que peut-on attendre de la COP27 ? Entre espoirs impossibles et déceptions certaines

Une analyse utile de Maxime Combes (ATTAC)

Attendre de la COP27 sur le climat qu’elle résolve ce que les 26 COP précédentes n’ont pu empêcher n’est que folie. Mais condamner les COP parce que les gouvernements des Etats qui la composent refusent de transformer de fond en comble leurs politiques économiques nous mènera nulle part. Ce ne sont pas les COP qu’il faut enterrer, mais les décisions climaticides des Etats et des entreprises.

La conférence annuelle de l’ONU sur le climat (COP27) débute ce dimanche 6 décembre à Charm-El-Cheikh (Egypte) pour 15 jours de négociations. Vous lirez d’un côté que les COP ne servent plus à rien. De l’autre, que cette COP27 est décisive pour les pays africains ou pour « assurer la justice climatique ». Bercées entre espoirs impossibles et déceptions certaines, ces approches ne peuvent qu’alimenter des formes de résignation, d’impuissance ou de démoralisation collectives.

Engagé dans le suivi des négociations climatiques depuis le milieu des années 2000 – même si j’ai raté quelques COP depuis 2018, j’ai toujours essayé de garder une distance critique envers les discours énonçant l’inutilité des COP d’un côté et envers ceux qui de l’autre nous promettent monts et merveilles des « COP de la dernière chance ». Par exemple, en 2009, avant la COP15 à Copenhague, j’étais un des rares en France à affirmer qu’elle ne serait probablement pas le succès qu’on nous annonçait malgré l’élection récente d’Obama, et en 2015, j’ai alerté bien avant la COP21 (dès Lima en 2014 – ici ou ici ou ici), sur le fait que l’Accord de Paris en gestation comportait des failles telles qu’il ne saurait contenir le réchauffement climatique à 1,5°C ou 2°C, ce que nous constatons désormais avec clarté.

En effet, imaginer que des gouvernements engagés dans la compétition internationale pourraient comme par magie suspendre leurs intérêts économiques et financiers – et ceux de leurs entreprises multinationales – et leurs conflits géopolitiques le temps d’une COP, le tout pour résoudre la crise climatique mondiale, me paraît tout aussi inconsistant que de laisser penser que les COP sont inutiles et n’ont rien produit en trente ans. Ne serait-ce parce que les COP représentent désormais un des derniers espaces de négociation géopolitique mondiale qui permettent de faire valoir les intérêts, parfois divergents, des pays pauvres, et en tout cas ceux des populations les plus démunies face au réchauffement climatique, face aux intérêts des grandes puissances. A l’heure de la guerre en Ukraine, de l’affirmation des tensions géopolitiques et militaires en Asie et d’une conflictualité croissante entre les grandes puissances de la planète, regardons donc la COP27, et plus largement les négociations climatiques internationales, avec lucidité. Sans se bercer d’illusion ET sans condamner les COP. Tour d’horizon de quelques enjeux autour de la COP27 :

  1. Blâmer les Etats plutôt que les COP, épisode 1

C’est l’élément le plus saillant d’avant COP27 : les rapports publiés par les différentes agences internationales sont catastrophiques. Selon les dernières données de synthèse de l’ONU, les plans climats des Etats vont encore augmenter les émissions mondiales de 10,6% d’ici à 2030 alors qu’il faudrait qu’elles baissent de 45% (par rapport à 2010). La faute en revient aux gouvernements des Etats – aucun n’est à la hauteur des enjeux – et non aux COP elles-mêmes.

En effet, en 2021, lors de la COP26 à Glasgow, pour éviter un écart si abyssal entre le réel (2,4°C à 2,8°C de réchauffement, et sans doute plus, d’ici à la fin du siècle) et le souhaitable (1,5°C ou 2°C), un engagement avait été pris : les Etats soumettraient à l’ONU des plans climat plus ambitieux d’ici au 23 septembre 2022. Seuls 24 pays l’ont fait. Et devinez quoi ? Ni l’Union européenne ni la France n’ont transmis de plan climat plus ambitieux. Pour le Programme des Nations-Unies pour l’environnement (PNUE), 2022 aura été une « année gachée » : c’est même « pitoyable » selon le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres. Ce sont les Etats et leurs gouvernements qu’il faut blâmer, France comprise. Plus que les COP en elles-mêmes.

Par ailleurs, cet écart abyssal entre le réel et le souhaitable n’est pas nouveau : il puise sa source dans l’Accord de Paris lui-même et dans le fait que les Etats n’aient pas prévu de mécanisme pour nous garantir que cet écart soit résorbé (voir plus bas). La COP21 et l’Accord de Paris n’ont pas désamorcé la bombe climatique et n’ont pas enclenché la prophétie autoréalisatrice qu’on nous avait promise. Sans surprise comme nous l’avions expliqué. Les promesses de « neutralité carbone » d’ici à 2050 des Etats et des entreprises multinationales sont donc aujourd’hui sans consistance. Parce que les Etats ne sont pas à la hauteur des enjeux et des promesses qu’ils ont eux-même consentis lors des COP.

  1. Blâmer les Etats plutôt que les COP, épisode 2

C’est proprement hallucinant. On peut même dire que les Etats des pays riches, dont l’Union européenne et la France, nous font honte. Pour que la COP15 en 2009 ne soit pas un échec complet, les pays riches, Etats-Unis et UE en tête, avaient en effet consenti à promettre 100 milliards d’euros par an de financements nouveaux et additionnels d’ici à 2020 pour aider les populations des pays pauvres à faire face au réchauffement climatique.

Résultat : sans même discuter du bien-fondé de la méthode utilisée pour répertorier ces fonds climat, seuls 83,3 milliards de dollars ont été comptabilisés par l’OCDE pour l’année 2020. Certes en hausse de 4% par rapport à 2019 mais il manque encore près de 20% des financements promis. Les gouvernements de nos pays multiplient les obstacles pour refuser de se placer à la hauteur de la responsabilité historique qui est la leur. Les fonds pour l’adaptation sont par ailleurs le parent pauvre des financements : les pays pauvres, qui ne sont pas responsables du changement climatique actuel, paient donc le prix fort et sont abandonnés à leur propre sort par nos Etats qui refusent d’assurer leurs responsabilités. C’est indécent.

Là aussi, il faut blâmer les Etats plus que les COP en elles-mêmes puisque celles-ci ont permis aux pays pauvres d’instituer un rapport de force et d’arracher des promesses qui sont plus ambitieuses que les propositions initiales des pays riches. Ce sont les Etats qui empêchent que ces promesses voient pleinement le jour.

  1. Peut-on dès lors disculper les COP de toute responsabilité ?

Les COP contribuent à ce que les Etats consentent à des engagements qu’ils ne prendraient pas sans leur existence. Est-il donc possible d’imaginer qu’une COP, le jour où toutes les conditions seront réunies, arrive à résoudre la crise climatique dans son ensemble ? La réponse est Non. Pour plusieurs raisons de fond que je vais tenter d’expliciter, tout en précisant immédiatement que cela ne rend pas pour autant les COP illégitimes ou inutiles. Les COP climat ont des limites intrinsèques, comme toutes les institutions (locales, nationales et internationales) existantes mais rien n’empêche de les utiliser pour ce qu’elles permettent, tout en mettant en lumière les décisions qu’il faudrait prendre par ailleurs et qui ne sauraient l’être au sein des COP.

  1. les COP n’ont pas mandat, et ont même l’interdiction, d’édifier des règles et institutions qui auraient pour fonction de réguler l’économie mondiale ; depuis 1992, les négociateurs climat sont tenus de ne pas prendre de mesures qui soient « des discriminations arbitraires ou injustifiables sur le plan du commerce international, ou des entraves déguisées à ce commerce » (art. 3.5. de la Convention-cadre des Nations-Unies sur le changement climatique). Comment résoudre les dilemmes posés par le réchauffement climatique, alimenté qu’il l’est par l’incroyable machine à réchauffer la planète que sont l’économie mondiale et les entreprises multinationales, quand on ne peut prendre des décisions qui reviendraient à changer les principes, l’organisation ou la nature de cette mondialisation et à réguler les activités des entreprises ? (plus de détails ici)
  2. Est-il possible de contenir le réchauffement climatique en deçà de 1,5 °C ou 2 °C sans ne jamais mettre à l’index les énergies fossiles pourtant à l’origine de près de 90 % des émissions mondiales de C02 ? Non, c’est évident. C’est pourtant ce qu’ont fait les négociations climatiques internationales depuis près de trente ans. Comme si les Etats s’étaient mis d’accord pour discuter des symptômes, les gaz à effet de serre relâchés dans l’atmosphère, sans traiter les causes, ces quantités astronomiques d’énergies fossiles (charbon, gaz et pétrole) qui alimentent notre insoutenable économie mondiale. C’est insensé. Extravagant même. Mais une réalité implacable : depuis la première COP organisée en 1995 à Berlin, il n’a jamais été question de limiter à la source la production de charbon, de gaz et de pétrole. Les entreprises publiques et privées des secteurs du gaz, du pétrole et du charbon ont pu continuer à investir dans le réchauffement climatique sans être inquiétées. Il a fallu attendre le texte de la décision de la COP26 à Glasgow pour que les énergies fossiles soient mentionnés dans un texte de décision de COP, dans une version totalement édulcorée et vidée de sa substance. Décider d’un moratoire ou interdire l’exploitation de nouveaux gisements d’énergies fossiles est pourtant requis tant par le dernier rapport du GIEC que par l’Agence internationale de l’énergie. Mais pour l’instant, ni les majors pétro-gazières occidentales n’ont pas grand chose à craindre des COP sur le climat (plus de détails ici)
  3. les COP ne peuvent pas réaliser ce que l’Accord de Paris a exclu qu’elles puissent faire : depuis l’Accord de Paris, il est en effet souvent reproché aux COP de ne pas aboutir à des engagements plus ambitieux en matière de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. Il serait en effet logique que les Etats, constatant que leurs engagements ne permettent pas de contenir le réchauffement climatique en deçà d’1,5°C ou 2°C, consentent lors des COP à se répartir les efforts supplémentaires afin de satisfaire à ces objectifs. Ce n’est pas le cas, et ce ne sera pas le cas. L’Accord de Paris n’a pas prévu que cela se passe ainsi : si les Etats sont invités (art. 4.9 de l’Accord de Paris) à communiquer une contribution plus ambitieuse tous les cinq ans, il n’est prévu aucun mécanisme pour que les Etats se partagent les efforts supplémentaires à accomplir. L’Accord de Paris a été construit sur la base de contributions volontaires et déterminées au niveau national : si l’ensemble des plans climat ne sont pas suffisants, aucune péréquation collective n’est effectuée. Le pari des concepteurs de l’Accord de Paris était de voir les Etats s’engager dans une course-poursuite collective où chaque Etat viendrait surenchérir avec des politiques climatiques plus ambitieuses que le voisin. Plutôt qu’une prophétie autoréalisatrice, on observe une course de lenteur, chacun retardant autant que possible des engagements supplémentaires. Parier sur le fait que cela change est une promesse sur l’avenir que personne ne peut garantir, et que l’Accord de Paris ne prévoit pas explicitement. (plus de détails ici)
  4. Que peut-on attendre de la COP27 ?

Ceci étant précisé, que peut-on attendre de la COP27 ? Pour réduire la longueur du texte, voici en mode résumé quelques éléments du cœur des négociations qui me paraissent les plus importants (et que vous trouverez plus détaillés dans les notes d’experts, de think tanks ou d’ONG publiées en amont de la COP27) :

  • maintenir les enjeux climatiques dans l’arène internationale à l’heure où les conflits géopolitiques (Ukraine, Corées et Asie en général, etc) s’intensifient et la crise économique pointe son nez ;
  • renforcer la pression sur les pays riches pour la reconnaissance et la mise en œuvre d’un dispositif de pertes et dommages qui permette aux pays pauvres victimes des conséquences du réchauffement climatique d’obtenir des financements et soutiens adéquats ;
  • augmenter les financements des politiques et mesures d’adaptation, jusqu’ici trop souvent oubliées des priorités des négociations climatiques ;
  • atteindre enfin les 100 milliards de dollars par an de financements climat pour les pays du Sud, avec une primauté pour les dons plutôt que pour les prêts tels qu’actuellement (71%)
  • obtenir des débuts de négociation sur la mise en œuvre de l’article 2.1(c) de l’Accord de Paris, laissé en suspend jusqu’ici, qui promet de rendre “les flux financiers compatibles avec un profil d’évolution vers un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques” ;
  • peser pour empêcher au maximum que les dispositifs de finance et de compensation carbone s’étendent encore ;
  • concrétiser les engagements des Etats en matière de fin des subventions aux énergies fossiles ;
  • commencer à préparer la COP28 en 2023 qui est celle visée par l’Accord de Paris pour établir un « bilan Mondial » des politiques climatiques et à cette occasion concourir à augmenter la pression sur les Etats pour qu’ils donnent plus d’ambition à leurs politiques climatiques

Sur chacun de ses sujets, pour la plupart techniques, il faudrait entrer dans les détails pour préciser les enjeux. Ce n’est pas l’objet de ce post. Leur énoncé transcrit très clairement que cette COP27 en Egypte est clairement une COP de transition, entre une COP26 à Glasgow en 2021 qui aurait du permettre de plus grandes avancées et une COP28 en 2023 qui doit faire la démonstration que les mécanismes de l’Accord de Paris permettent effectivement une progression des politiques climatiques nationales. Ce qui n’est pas gagné.

Dès lors, les sujets énoncés ci-dessus, bien qu’essentiels, ne sont pas de nature à mobiliser les opinions publiques. Pour ce qui concerne la France, je vois trois débats qu’il faudrait faire progresser :

  • puisque l’année 2022 s’annonce comme la plus chaude, ou l’une des plus chaudes jamais enregistrées en France, il est urgent d’accroître la pression sur l’exécutif français pour obtenir des politiques climatiques bien plus ambitieuses (financement des mobilités collectives et douces ; politiques d’isolation du bâti ; mesure de réduction des « inégalités-carbone », etc) ;
  • puisqu’il est impératif d’obtenir que les investissements mondiaux dans les énergies fossiles soient drastiquement réduits pour tendre vers zéro le plus rapidement possible, il apparaît nécessaire de continuer à mettre à l’index les insoutenables investissements de TotalEnergies, Engie & co dans le pétrole et le gaz ;
  • puisque Emmanuel Macron vient d’annoncer que la France allait se retirer du Traité sur la charte de l’énergie, ce Traité qui retarde, renchérit ou bloque la transition énergétique, et que cette décision est sans doute l’une des toutes premières fois que des règles ou institutions nés avec la mondialisation sont officiellement reconnues comme antinomiques avec la lutte contre le réchauffement climatique, sans doute est-il opportun de s’engouffrer dans la brèche : il est plus qu’urgent de revoir de fond en comble les institutions et les règles qui organisent la mondialisation

Il y a bien d’autres sujets qui mériteraient de plus amples développements (déforestation, agriculture, transports internationaux, usage des ressources non renouvelables, émission de GES des armés qui ne sont pas comptabilisées, etc). Je m’emploierai à en traiter quelques-uns durant cette COP27 sur ce blog.

Maxime Combes, économiste et auteur de Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition (Seuil, 2015) et co-auteur de « Un pognon de dingue mais pour qui ? L’argent magique de la pandémie » (Seuil, 2022).