État espagnol : Lendemain d’une bataille électorale polarisée contre la droite et l’extrême droite

Faisant mentir la majorité des sondages, le coup de poker de Pedro Sánchez semble avoir réussi, entravant la marche forcée de la droite et l’extrême droite vers le pouvoir avec un record de participation (70,4 %).
Sánchez remet ainsi le bipartidisme issu de la transition au goût du jour, mais celui-ci dépendra désormais, pour parvenir à faire des gouvernements, de l’extrême droite pour le PP ; des alliés à sa gauche et surtout des indépendatistes basques et catalans pour le PSOE…

S’il est loin de la majorité parlementaire (même avec ses alliés inconditionnels de Sumar, la coalition de sa ministre du Travail, Yolanda Díaz, qui garde 31 des 35 sièges de Unidas-Podemos, atténuant l’effet de l’effondrement de la formation de Pablo Iglesias), le PSOE se maintient pas rapport à son score de 2019. Avec 122 député•es, il gagne même deux sièges (7 760 970 voix, contre 6 792 199 en 2019) ; il arrive en tête en Catalogne, par exemple, confirmant sa progression aux municipales et la démobilisation de l’électorat indépendantiste ; il remonte aux Baléares (match nul avec la droite) ou en Andalousie.

Les socialistes profitent de plusieurs facteurs : en premier lieu, le vote utile face à la droite/extrême droite ; la disparition de Ciudadanos, dont l’électorat semble s’être partagé entre le PSOE et le PP ; le bénéfice des quelques réformes réalisées (réforme partielle marché du travail et lutte contre la précarité, mesures d’accompagnement face à la crise énergétique, soutien aux politiques contre les violences faites aux femmes, droit à mourir…).

Même s’il n’a pas atteint la majorité absolue (avec Vox) que leur prédisaient les sondeurs, le PP renaît de ses cendres avec 136 sièges (contre 89 en 2019), il devient le premier parti en voix et récupère une partie de l’électorat de Ciudadanos mais aussi des 30 député•es que perd Vox : le vote utile a également joué à droite. Grâce ou à cause de l’épouvantail des menaces outrancières de Vox (qui passe de 52 à 33 député•es) contre les droits des femmes (il n’y aurait pas de violences faites aux femmes mais seulement des violences « intrafamiliales»…), des LGBT, des migrants, de toutes les régions où il voudrait réimposer le castillan… Vox avait réussi à embrigader l’écrivaine cubaine Zoe Valdés sur ses listes : en effet, celle-ci est obsédée par la mainmise « communiste » non seulement sur son île natale mais aussi… dans l’Etat espagnol ! Comme jadis Ciudadanos avait réussi à faire défiler à Barcelone le très droitier Prix Nobel de littérature MarioVargas Llosa, porté, lui, par des obsessions anti-indépendantistes.

La coalition de 16 partis portée par la ministre de Travail Yolanda Díaz, Sumar, n’a pas réussi à atteindre le nombre de députés de Unidas-Podemos (silencieux depuis dimanche…) aux élections de 2019 (31 contre 35, sans compter les voix perdues de Más Madrid). Un échec pour celle qui espérait à la fois s’emparer de l’héritage de Pablo Iglesias, même si elle enrayé sa dégringolade, et occuper le centre de l’alliance avec les socialistes. Mais Sumar restera une force d’appoint indispensable pour Sánchez, ce que Díaz présente comme une victoire. C’est à la fois contre l‘extrême droite mais surtout sur une orientation « réaliste » et de cogestion que Yolanda Díaz, venue des rangs de la coalition Izquierda Unida (PC), a fait campagne et non plus sur un quelconque « assaut du ciel » suivant la devise du mouvement des Indignés de 2011 qui avait donné naissance à Podemos.

Les résultats sont contrastés en Catalogne et en Euskadi.

Les indépendantistes catalans sont à la peine mais deviennent aussi les arbitres du match que veut gagner Sánchez. En effet, ils payent le prix fort à la fois du vote utile contre la droite mais aussi de leurs divisions, ainsi que de la démobilisation de leur électorat face à l’impasse dans laquelle se trouve le processus d’autodétermination en rade depuis 2017 et suspendu à un simulacre de négociations de ERC avec Madrid.

La Catalogne connaît un record d’abstention (presque 35 % : + 4 points par rapport à 2019) : le PSC arrive en tête avec 19 député•es (contre 12 en 2019) ; ERC chute de 13 à 7, tout comme Junts (de 8 à 7). Mais paradoxalement, c’est Junts affaibli, avec un Puigdemont en danger depuis la levée de son immunité d’europarlementaire qui se retrouve au centre du jeu. L’ancien président est menacé par le tribunal suprême de Madrid qui prépare un nouvel euromandat d’arrêt : la très partisane « justice » espagnole met ainsi son grain de sel et complique d’éventuelles négociations avec Sanchez ! Les émissaires socialistes et de Sumar sont en train de fourvir armes et arguments… La question de l’autodétermination, occultée pendant ces dernières campages, peut ainsi revenir sur le devant de la scène.

Nos camarades de la CUP ont pris acte de leur défaite dès hier soir et perdent leurs deux député.es : ils ne seront plus présents au Parlement de Madrid. Le débat très serré qui avait eu lieu dans l’organisation anticapitaliste quant à leur participation aux scrutins de l’Etat devrait avoir des répercussions sur les européennes, et s’ajoute à la crise d’identité ouverte par une campagne municipale difficile.
Sumar préserve le score des Comuns (7 député•es). Vox se maintient avec ses 2 élus (alors qu’il avait beaucoup progressé aux municipales) et le PP passe à 6 (sûrement grâce à la disparition de Ciutadans).
Au contraire, en Euskadi, les indépendantistes de EH-Bildu (6 élu•es) prennent la place du PNV (5), confirmant leur poussée aux municipales. La politique pragmatique de Bildu à Madrid visant à disputer la place d’interlocuteur du PNV a mis les camarades d’Otegi au centre de la scène malgré les campagnes qu’ils ont subies de la droite et l’extrême droite, notamment lors des municipales, qui s’étaient soldées par le retrait de certain•es candidat•es acusées d’avoir milité à l’ETA.

En conclusion, la polarisation gauche/droite et l’exigence de réponses sociales écologiques et démocratiques dans tout l’État espagnol à la hauteur des crises demeurent incontournables. Et sont le défi des anticapitalistes et de la gauche.

La question des politiques alternatives reste centrale et c’est bien la faiblesse de ces résultats : les projets proposés ne sont pas portés à la hauteur des enjeux par une force crédible.

On est face à la possibilité d’une crise durable en l’absence de majorité et des difficultés des négociations, notamment avec les partenaires indépendantistes, et la possibilité de nouvelles élections n’est pas à écarter.

24 juillet

Armand Creus
Mariana Sanchez

Élections du 23 J
Frein au bloc réactionnaire avec un avenir ingouvernable

Jaime Pastor
Viento Sur

L’ « été bleu » promis par Feijóo n’est pas arrivé mais, au-delà du soulagement de la défaite des attentes de la droite, il ne semble pas non plus qu’un avenir plein d’espoir nous attende sous un nouveau gouvernement progressiste qui, au milieu d’une polycrise croissante et avec la menace d’une nouvelle phase d’austérité qui se profile à l’horizon, se limiterait à être un simple gestionnaire de l’existant.

Avec une participation au scrutin de 70,4 % (4,2 % de plus que lors des précédentes élections de 2019) et dans un contexte de renforcement du bipartisme (qui est passé de 48 % en 2019 à 64,8 %), la mobilisation plus importante de l’électorat de gauche a réussi à empêcher que la montée du bloc de droite qui, selon les sondages, était annoncée comme inévitable, ne se traduise par une majorité suffisante pour être une alternative de gouvernement. En effet, avec 33,1 % des voix et 136 sièges (47 de plus) pour le PP et 12,4 % et 31 sièges (19 de moins) pour Vox, ces deux forces n’ont pas réussi à atteindre le total de 176 sièges nécessaires et il leur sera impossible d’ajouter des voix au-delà de Coalición Canarias (1) et UPN (1).
Le recul de Vox est sans aucun doute une bonne nouvelle, mais il ne doit pas nous faire oublier qu’il a été le fruit de la reprise à son compte croissante par la direction du PP du discours cadre que ce parti a imposé ces derniers temps, et qui pourrait même être renforcé sous la pression d’Isabel Díaz Ayuso, qui se présentera bientôt comme une alternative à Feijóo, comme on a déjà pu le voir le soir des élections.

Le PSOE de Pedro Sánchez (avec 31,7 % des voix et 122 sièges) a été le principal bénéficiaire du vote utile contre cette menace – perçue comme très réelle après les pactes municipaux et régionaux du PP avec Vox –, même dans les communautés autonomes comme la Catalogne et Euskadi, malgré le fait que des forces comme EH-Bildu (avec 6 sièges), PNV (avec 5), ERC (7), Junts (7) et BNG (1) seront décisives pour répéter l’expérience du gouvernement de coalition progressiste. Pour sa part, Sumar a obtenu 12,3 % des voix et 31 sièges, en deçà du chiffre obtenu par Unidas-Podemos en 2019, mais il est parvenu à enrayer le déclin subi par ce parti lors des dernières élections municipales et régionales du 28 mai. Quant aux autres forces situées à sa gauche, la CUP n’a pas réussi à reconduire les deux sièges qu’elle avait obtenus lors des dernières élections générales (passant de 6,37 % à 2,81 %), tandis qu’Adelante Andalucía, qui ne s’est présenté qu’à Cadix, n’a pas atteint son objectif d’un siège, avec 1,42 % des voix.

Voilà les principales leçons d’une élection qui a marqué la fin d’une campagne intense commencée immédiatement après les élections du 28M, et qui s’est caractérisée par un changement constant de scénario sous l’impact des pactes que le PP et Vox ont négociés dans de nombreuses mairies et communautés autonomes, et au cours de laquelle la menace pour les droits et libertés fondamentaux que représenterait la formation d’un gouvernement formé par les deux partis est devenue visible pour une grande partie de l’électorat. Pour cette raison, la gauche sociale a prédominé dans un vote fondamentalement défensif, “responsable”, comme certains l’ont décrit dans certains milieux, pour préserver ce qui a été conquis, face à ce qui pourrait devenir une régression historique en règle.

Cependant, malgré le renforcement du bipartisme, la clé de la possibilité de former un nouveau gouvernement progressiste continuera de reposer sur les formations politiques périphériques et, en particulier, sur EH-Bildu, ERC et, surtout, Junts. Nous verrons donc une fois de plus que sans la résolution démocratique de la fracture nationale-territoriale que traverse l’État, il n’y aura jamais de stabilité ni de gouvernabilité. Raison de plus pour lutter pour la fin des politiques répressives et pour continuer à exiger la reconnaissance de la réalité plurinationale et du droit de nos peuples à décider de leur avenir, y compris de leur indépendance.

Viento Sur
25 juillet 2023